Accueillir un enfant en placement

Les meilleurs atouts que l’on peut donner à un enfant, c’est qu’il puisse établir une relation transférentielle avec une ou quelques figures d’attachement permanentes et constantes ; peu importe comment se répartissent ces figures d’attachement selon les âges et le sexe (nourrice, famille, lieux de vie...), l’essentiel est l’amour et le respect porté à l’enfant.

Le Dr Fabrice LOMBARD est chef de service des hôpitaux en psychiatrie enfant. Il est psychanalyste Jungien et anime les formations en Psychopathologie à LA TEMPERANCE.

Bibliographie

Les meilleurs atouts que l’on peut donner à un enfant, c’est qu’il puisse établir une relation transférentielle avec une ou quelques figures d’attachement permanentes et constantes ; peu importe comment se répartissent ces figures d’attachement selon les âges et le sexe (nourrice, famille, lieux de vie...), l’essentiel est l’amour et le respect porté à l’enfant.

Un enfant transporté constamment d’une famille à l’autre, (que ce soit de la famille naturelle à une famille d’accueil ou d’une famille d’accueil à une autre) vit des séparations et des deuils répétés qui peuvent générer des pathologies graves (psychopathologie).

Pour peu qu’un enfant naisse dans des conditions familiales difficiles , son épanouissement sera compromis. Il peut en effet, rester en pouponnières (maisons qui n’ont généralement rien de « pouponnant » !) : ce sont des lieux où l’on met des nouveaux-nés, de 0 à 6 mois, plus ou moins abandonnés, en état d’incertitude, confiés à des professionnels débordés qui changent constamment, ce qui rend impossible l’attachement salutaire nécessaire, dés les premiers mois de la vie.

A six mois ou davantage, selon le jugement prononcé, il peut être ensuite décidé de donner une chance à la mère, l’enfant retourne alors dans son foyer originel, mais pour peu que la mère s’en occupe mal, on confiera à nouveau l’enfant à une autre nourrice, ces différents changements vont le fragiliser à vie.

Il suffit pourtant qu’un enfant soit confié à une personne stable (et saine) pendant sa petite enfance : il va s’attacher à cette personne, ce qui pourra l’équilibrer. Mais si par contre, il est décidé par les différentes instances sanitaires et sociales de le confier après ce séjour chez une nourrice, à nouveau chez la mère, cette alternance de figures d’attachement -qui sont souvent en rivalité (chacune revendiquant d’être la véritable et meilleure mère et en voulant à l’autre de lui enlever l’enfant ou parce qu’elle peut le faire...) sera toxique et dangereuse pour l’enfant.

La majeure partie des délinquants et des détenus ont eu une telle enfance « chaotique ». En milieu pédopsychiatrique, 40 % des cas de psycho-pathologie lourde durant l’adolescence proviennent d’itinéraires de cet ordre.

Evidemment si par hasard, les différentes figures d’attachement s’entendent bien entre elles c’est un grand atout pour l’enfant, mais cela est exceptionnel.

Comment s’expliquent les placements d’enfants ?

Pourquoi des parents livrent-ils leur enfant à cette forme d’abandon ? Les raisons sont multiples, mais ils s’agit toujours de situations extrêmement difficiles et perturbées... Des jeunes femmes célibataires trop jeunes et démunies, des femmes immatures aux aventures nombreuses et qui délaissent des enfants de pères différents, des enfants nés de viol ou d’inceste, des femmes seules qui, en raison de maladie mentale ou de maladie grave, ne peuvent pas s’occuper de leur enfant, des parents qui, en raison de dépendances graves (alcool...) ou en raison de leur propre enfance malheureuse, les maltraitent... La situation est différente si on se trouve dans un cas de figure où les parents eux-mêmes refusent d’élever leur enfant ou bien dans celui où l’enfant leur est retiré pour des raisons de sévices et de mauvais traitements.

Quoi qu’il en soit, une mère qui abandonne son enfant et qui assume cet abandon est une mère très courageuse car elle assume son incapacité du moment à élever son enfant malgré l’opprobre et elle lui donne ainsi une chance d’être heureux, alors que les mères qui sont incapables d’élever leur enfant et qui ne peuvent affronter cet opprobre, refusent de l’abandonner tout en s’en désintéressant, sauf pour perturber le milieu nourricier qu’elles chargent de tous les maux pour mieux se déculpabiliser elles-mêmes.

Devant tous ces problèmes variés, quel est le cas de figure idéal , la façon de mieux protéger l’enfant ? En pratique, que faire ? Plusieurs cas peuvent se présenter.

Si la mère a des capacités en elle-même pour être une bonne mère, il faut tout mettre en oeuvre pour l’aider à réaliser cela en la soutenant psychologiquement et matériellement. Si on se rend compte que la cause est perdue, il faut arriver à convaincre la mère soit d’abandonner son enfant (ce qui lui laissera la chance d’être adopté), soit la soutenir dans son propre narcissisme en la déculpabilisant et en la revalorisant pour qu’elle ne perturbe pas le milieu nourricier, soit, si la mère est vraiment nocive dans ses rapports avec le milieu nourricier, par une loi qui n’existe pas encore, il faudrait lui interdire le droit de visite du moins jusqu’à ce que l’enfant ait 7 ou 8 ans, le temps que sa personnalité soit réellement construite.

Jusqu’à maintenant, on a trop voulu privilégier les liens du sang. D’après la loi, les parents génitaux sont prioritaires par rapport aux parents nourriciers, aussi l’équipe médicale est là pour protéger la famille nourricière.

Le placement familial

Pour des enfants plus petits qui sont perturbés en raison de telles histoires familiales, une fois les soins pratiqués en services hospitaliers, on a besoin de relais, on fait alors un placement familial thérapeutique. La famille d’accueil est payée par l’hôpital et soutenue par une équipe afin de terminer le travail pour rééquilibrer l’enfant. On arrive ainsi à des résultats spectaculaires (si l’on amène un enfant fortement perturbé au même niveau d’épanouissement qu’un enfant sans problème particulier, cela est encore plus remarquable...).

L’intérêt de cet article est d’informer les gens qu’il y a des possibilités d’accueillir un enfant chez eux, parfois pour toute la vie.

Cependant, il y a peu de familles candidates, donc beaucoup d’enfants sont placés en institution. Les juges craignent parfois de se heurter à un refus passionné de la part des parents géniteurs, d’autre part les gens ont peur d’accueillir des enfants dont l’histoire est complexe et difficile. Certes, une telle décision ne doit pas être prise à la légère. Nous présentons ici un tableau -bien sûr schématique- qui peut servir de base de réflexion.

Voir tableau ci-dessous :

Inconvénients d’être parents nourriciers Avantages d’être parents nourriciers
La durée du placement n’est pas toujours bien précise. Les parents nourriciers ont non seulement la joie d’élever l’enfant mais aussi celle de le sauver.
Les parents n’ont pas d’autorité parentale réelle : l’enfant peut donc être enlevé sans leur avis, mais ce cas est évité le plus souvent possible. Ils peuvent être parfois plus aimés par cet enfant que par leur propre enfant.
Cette éducation est rémunérée (4000 F. par mois et par enfant, différentes aides financières pour l’achat des vêtements, pour les vacances...) et valorisante.
L’enfant peut devenir parfois adoptable.
Si une famille ne peut pas ou ne veut pas se charger en permanence de l’éducation de l’enfant, elle peut moduler son temps de prise en charge (week- end et vacances, par exemple).

L’idéal serait sans doute qu’il y ait, au sein des institutions ou en dehors, des espaces de jeu, d’activités où parents et enfants pourraient apprendre à se connaître et se choisir mutuellement ; à travers des rencontres successives, au fil du temps, se créeraient ainsi des affinités naturelles, garantes d’une relation de qualité. Mais comment mettre en place de tels lieux ?

Un pas a tout de même été franchi puisqu’il existe maintenant des formations destinées aux personnes qui désirent accueillir des enfants en placement.

Ce deuxième tableau pourra vous servir de base de réflexion :

Les difficultés rencontrées Comment y remédier ? Attitude des parents nourriciers
Difficultés relationnelles entre parents naturels et parents nourriciers et pressions diverses exercées sur l’enfant. Comprendre que la mère -ou le père- qui ne peut assumer l’éducation de son enfant se sente dévalorisée et coupable. les parents nourriciers ne se laisseront pas "atteindre" par des propos malveillants à leur égard et expliqueront à l’enfant dans un langage qu’il pourra comprendre, selon son âge, sans acrimonie, les raisons pour lesquelles leurs véritables parents cherchent à les dévaloriser eux-mêmes à ses yeux. Le psychiatre de son côté, accompagnera les parents géniteurs en leur permettant d’exprimer leurs sentiment "d’échec" et d’en parler afin qu’ils trouvent un apaisement et adoptent une attitude plus saine "dans l’intérêt de l’enfant".
L’enfant peut, dans un premier temps, chercher à régler des problèmes non résolus avec ses parents naturels et avoir des comportements agressifs, provocateurs ou une attitude de fermeture. Une attitude ferme et aimante et l’accompagnement d’un psychiatre permettront peu à peu que les "crises" s’estompent et que l’enfant trouve des réponses à ses angoisses.
L’enfant s’étant senti rejeté par ses parents cherche à savoir si on l’accepte tel qu’il est, il a besoin qu’on lui prouve qu’il est digne d’être aimé et qu’on l’aime pour ce qu’il est vraiment, non pour ce qu’il fait : il fera les "400 coups" (fugue...) pour s’assurer que la famille nourricière va bien le garder comme un enfant véritable. Si les parents confirment à l’enfant qu’il l’aiment indépendamment de ce qu’il a pu faire, les choses rentreront dans l’ordre.
Que dire à l’enfant sur les parents véritables et sur les causes de leur "rejet" ou "abandon" ? Dire la vérité à l’enfant sur son histoire en lui donnant une image positive de ses parents, d’une manière qu’il comprenne que si ses parents ne sont pas en mesure de l’élever ce n’est pas parce qu’il est un "mauvais enfant", que cela n’a rien à voir avec sa valeur et que ses parents l’aiment à leur façon... mais que pour des raisons qu’ils ne sont eux-mêmes pas capables d’expliquer, ils ne peuvent pas l’élever ; que pour cela, ils ont préféré (ou cela leur a été imposé) qu’une personne plus compétente s’occupe d’eux avec l’aide de l’A.S.E (Aide Sociale à l’Enfance).

En conclusion

Les difficultés rencontrées peuvent généralement être solutionnées avec l’aide de psychiatres compétents (les consultations sont gratuites en C.M.P., Centres Médicaux Psychologiques, annexes attachés à tout hôpital général ou spécialisé) : cet accompagnement sera utile pour l’enfant qui en raison de son histoire présente presque toujours des failles dans sa personnalité et aussi pour les parents nourriciers qui pourront parler des problèmes qu’ils rencontrent. Il n’en reste pas moins que l’épanouissement de l’enfant dépend des qualités humaines des parents nourriciers et de la qualité de l’amour qu’il lui donnent. S’ils possèdent ces qualités, ils retireront une grande joie de leur investissement.

L’intérêt de cet article est de montrer l’importance que jouent les familles d’accueil pour ces enfants « oubliés ». Car on arrive ainsi à donner un équilibre à un enfant dont le parcours aurait été l’hôpital psychiatrique ou la prison... cet enfant, s’il a reçu l’intérêt et l’amour qui lui étaient dus sera très affectueux et aimera sa famille nourricière comme la sienne avec une infinie reconnaissance.

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